Ironman France Nice 10 Years

Tout a commencé le jour de l’ouverture des inscriptions le 30 juin 2014. 10 mn après, c’était fait, j’étais inscrit. C’est un moment que j’attendais depuis vingt quatre ans. A l’époque  je m’étais inscrit en 1991. La distance était de 4km de natation, 120km de vélo et 30km à pied. Mais avec la naissance de Dorine je suis resté à la maison. « Depuis je lui rappelle cet événement à chaque anniversaire ».

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PREPARATION A L’IRONMAN

L’IRONMAN commence maintenant dans la tête. Petit à petit cela prendra une grande place dans ma vie de tous les jours jusqu’au 30 juin. C’est parti pour six mois d’entraînement où le volume, l’intensité montera crescendo. Cet entraînement me permettra ainsi d’acquérir, par l’action, la force mentale nécessaire pour  posséder cette assurance de soi qui permet d’endurer ce genre d’épreuve. Cette course longue distance est bien sûr pour moi aussi bien une épreuve physique et surtout, oh combien une épreuve mentale. L’Ironman sera en lui-même l’aboutissement de tout ce travail.  Le jour de la course est le résultat de ces efforts, du temps passé à s’organiser en jonglant avec les emplois du temps, et parfois à stresser qu’un déplacement au boulot gâche tout cela. Ce jour exceptionnel d’effort doit être vécu comme un jour de plaisir, car enfin, j’y suis pour vivre mon rêve, ma passion. Cette course je l’ai depuis longtemps dans la tête. Mais cette fois nous serons trois à l’assaut du monstre Niçois. Deux mois avant, Fabien, Amar et moi avons fait la reconnaissance du parcours. Comme on dit dans le milieu : « Nous avons fait le métier ». Cette reconnaissance était nécessaire : elle nous a permis de bien maitriser le tracé. Nous savons maintenant exactement où sont les vraies difficultés, comme la petite bosse « assassine » non répertorié qui fait mal aux jambes.
De plus, nous avons monté deux fois le col de l’Ecre. J’ai pu  ainsi, me rendre compte, qu’au niveau du matériel, il fallait changer mon petit plateau qui était trop important. Le jour de la course je verrai la différence.

L’ARRIVEE A NICE

Deux jours avant la course, le vendredi, nous sommes arrivés à Nice. Nous avons eu le temps de prendre nos marques et de s’installer dans un petit appartement, loué depuis longtemps et situé à seulement 400 m du départ. Du grand confort pour nous. Même à cinq et quatre vélos on arrive à tout caser.  Nous rejoindrons Amar et Jean- François, un de ses amis, sur le trajet .Pour ma part, je ferai la route avec Fabien au cours de laquelle j’aurai le temps d’apprécier sa « super playlist ». Patrick notre ami triathlète parisien, fera le voyage pour nous retrouver le soir. D’ailleurs, il sera en charge pendant l’épreuve, d’informer nos familles sur le déroulement de la course.  Arrivés à Nice, nous avons juste le temps de récupérer nos dossards, dossiers et puces. Le lendemain est consacré à la préparation du matériel de course, à faire nos sacs, les vérifier trois fois avant de les fermer. C’est une journée spéciale et cruciale. C’est un  jour de concentration et de préparation mentale qui me permettra de canaliser mon énergie pour la course. Dans l’après midi nous plaçons nos vélos sur les racks, et donnons nos sacs. Tout content de ranger mon vélo sur le premier rack en début du parc, je me rends compte que sommes classés du plus vieux au plus jeune… Je me retrouve donc dans les plus anciens. « Sans commentaire ». Après, nous retournons rapidement à l’appartement  nous reposer, et se mettre au calme. Une séance de tatouages, avec nos numéros d’identification, s’organise avec plus ou moins de réussite pour chacun. La pose n’est pas aisée, mais après une partie de rigolade, nous parvenons à les faire tenir. C’est plus difficile sur des jambes et des bras poilus. Le soir, comme à son habitude, Fabien nous prépare de très bonnes pâtes « qui vont faire leur effet », dixit  Patrick. Manger léger est bien suffisant car il ne faut pas se charger l’estomac. Il va falloir essayer de dormir, du moins se reposer, car le sommeil est difficile à trouver avant la course.

LE JOUR DE LA COURSE

Le lendemain, tout commence à 4h15, (2h et quart avant le départ). Patrick et Jean- François nous accompagnent. La journée sera longue et voici cette histoire.

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ACTE 1 – Natation

La bande de plage n’étant pas large,  les nageurs  se mettent  le long du littoral et se positionnent dans le sas correspondant à leur temps de natation (de – 55mn à +1h25).
Les plus rapides se retrouvent le plus près de la ligne droite et peuvent ainsi dégager la place le temps que les plus lents se rabattent le long des bouées. Il suffit de se mettre au bon endroit.
J’ai longtemps réfléchi comment me positionner au mieux pour un départ des plus efficaces. Je choisis le sas -1h18, et  me place à l’arrière. Comme cela,  je peux partir tranquille et prendre mon rythme de croisière. Avant le départ, je m’échauffe dans l’eau : petit réveil musculaire avec quelques accélérations pour faire monter le cœur, une dernière vérification de l’étanchéité des lunettes. Je remonte sur la plage pour me positionner à l’arrière de mon sas. Dans l’attente, je trouve par chance une chaise pour m’asseoir et me concentrer. Je suis dans un état rare, calme, déterminé et sans stress. 6h30. Le départ est donné, 5 mn après les pros déjà loin. Il faut se mettre à l’eau, en marchant. On perd vite pied, l’eau bleu azur devient blanche, c’est du champagne salé ! Dans les bulles, on ne trouve pas d’appui,  comme dit notre coach Cécile : « de l’eau molle ». Ce n’est pas grave, on est porté par le groupe. Heureusement la 1ère bouée est à virer à 1km, le temps d’étirer le gros de la troupe. Il faut rester concentré pour garder sa trajectoire car les autres concurrents veulent à tout pris prendre ta place, il faut les repousser et garder son cap. J’en ressors avec une pommette éclatée et le cou griffé. Je l’ai senti dans l’eau car avec le sel, ça pique (comme les moustiques…). Dans cette grande lessiveuse, je pense à Fabien, et surtout à Amar qui a eu le courage de se mettre dans la bagarre. Ils ont beaucoup  progressé depuis ces dernières années. Après la 1ère boucle, longue de 2,4km, une sortie à l’australienne d’environ 20m est à faire sur les galets. J’ai du mal à me relever avec le roulis et la baston, et déjà il faut se remettre à l’eau. J’ai le corps traversé de fourmis, une sensation que les muscles se déchirent. Heureusement nous avions travaillé cela au lac à Bordeaux, je sais que cela passe très vite. Déjà sur le retour, 3km de passés. Une envie d’accélérer me prend, mais il faut rester calme, car il me reste 800 m à parcourir. D’abord, j’essaie de visualiser sur la plage la rampe d’arrivée, difficile à voir entre les vagues et les autres nageurs. Je dois aussi penser à bouger les jambes et à refaire mentalement le film de la sortie pour préparer ma 1ère transition.

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Transition 1

A la sortie, tout va bien, mon temps à la sortie de l’eau me galvanise (1h11mn, un de mes meilleurs temps sur cette distance), me booste et me regonfle le moral. Cela me donne une bonne indication sur mon état de forme du moment. Je passe sous la douche. J’en profite pour me rincer la bouche. Je monte la rampe d’accès au parc à vélos, et je récupère mon sac. Je retire ma combinaison  de natation et la range. Je  commence déjà à m’alimenter et pars calmement récupérer mon vélo.

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ACTE 2 – Vélo

Sur le vélo, je n’ai jamais forcé, je n’ai jamais été dans le rouge (sauf bien sûr comme tout le monde, dans la montée de la Condamine avec une pente de 12% sur 500m : un véritable mur, mais qui passe bien car elle est placée en début de course). Le parcours est magnifique, il me donne envie de pédaler. La chaleur est là, mais elle ne m’atteint pas. Je reprends ma technique des deux bidons, un rempli d’énergie et l’autre d’eau fraiche pour m’arroser. Je suis heureux d’être là, en paix avec moi même et avec le reste du monde. Mon objectif principal sur cette épreuve est de finir le moins entamé possible,  pour faire un bon marathon. Km 40 – Je roule sur un faux plat montant jusqu’au bas du col de l’Ecre, une partie où il faut rester calme. Il sera temps dans la montée de « faire parler la poudre ». J’avale un gel avant l’entame (au pied du col). Cette montée, je  la connais bien, je l’ai déjà grimpée deux fois avec Fabien lors de notre reconnaissance. Km 60 – Un faux plat descendant avant le village de Gourdon perché a mi pente, permet de récupérer avant de réattaquer la deuxième partie plus raid. Encore une fois, je ne m’emballe pas et je pense à bien m’hydrater. Je suis heureux d’avoir changé mon plateau de 39 dents par un de 38 dents. Cela n’a l’air de rien une dent de différence, mais cela me permet de moins forcer et de finir la montée sans avoir de grosses cuisses. Km 70 – En haut du col, je récupère mon sac de ravito personnel. Le règlement nous oblige de ne pas le prendre à la volée, mais de s’arrêter pour récupérer son contenu. Pour moi : un bidon de « Sportdej » dilué avec de l’eau, un œuf et un morceau de gâteau sport. Le bidon de « Sportdej » aura du mal à passer à cause de la chaleur. Je m’en débarrasserai rapidement. Au fur et à mesure de la route, Je retrouve des passages reconnus il y a quelques mois avec mes deux compagnons. Je me rends compte encore fois que je suis un piètre descendeur. Paradoxalement, je perds beaucoup de temps dans les descentes. Je suis même obligé de me serrer à droite pour laisser passer les autres concurrents. C’est un comble ! Malgré tout, je profite de ces moments pour récupérer, m’étirer. Mais dans la  tête, c’est difficile à gérer, je bous.  Je grimpe sans effort particulier et me fait reprendre dans les parties faciles. C’est rageant. Il faudra que je trouve la solution, encore un truc à travailler. Un problème de vision sur l’œil droit  me gêne pour anticiper. Il faudra que j’apprenne à prendre les bonnes trajectoires malgré cela. Km 110 – La Côte de saint Pons arrive (bien identifiée lors de notre reconnaissance). C’est le moment de vérité. C’est La dernière difficulté. Si cela se passe bien, le reste suivra tout seul. Km 125 – Je croise Fabien au retour de la boucle menant  au col de Vence. Il a l’air bien, il pédale facile. Je pense à ce moment -là, qu’il va me rattraper rapidement dans le retour sur Nice. Finalement, il saura se maitriser et je ne le reverrai que sur la première boucle du marathon. Pour Amar, le col de Vence a été le point d’arrêt de son défi, mis hors délai alors qu’il vient de faire le plus dur. Mais il ne lâchera pas comme cela, et finira la boucle sur son vélo. Km 150 – Le retour sur Nice se fait avec des descentes très techniques. Il faut bien négocier des séries de virages serrés dans une partie très urbanisée. a fin du parcours, une partie longue et plate le long de la mer, est dure moralement. On n’en finit pas de remonter cette ligne droite, on cherche l’arche d’arrivée. Elle n’est toujours pas là ! Enfin je l’aperçois : les choses sérieuses vont commencer. On va savoir ce qui reste dans le moteur. J’attends ce moment depuis si longtemps.

Transition 2

Après avoir  raccroché mon vélo au rack, je pars chercher mon sac, et là, c’est  toujours la même question : Est ce que je peux courir ? Effectivement c’est possible ! Je pars chercher mon sac en toute petite foulée afin de me délier les jambes.
Le parc à vélo est tout en longueur. Il me faut plus d’une minute pour rejoindre ma chaise. Comme d’habitude à cette transition je me change complètement, enlève ma trifonction blanche de sel. C’est une indication pour moi, je devrai me recharger en sel durant la course à pied. J’enfile mon flottant rapidement sans passer par la tente, c’est interdit mais c’est plus rapide. Je mets mon maillot fétiche customisé par Claire. Puis, je prends le temps de me passer de la crème Nok sur les pieds. Je fais aussi attention à bien lacer mes chaussures. Je préfère utiliser des lacets classiques aux lacets élastiques, car j’ai besoin d’avoir les pieds bien maintenus sur le marathon. A coté de moi un vétéran s’assied. On échange deux mots, pas plus, pas le temps, juste le temps de se souhaiter un bon voyage, car c’est bien un voyage. Un long voyage intérieur. D’ailleurs Patrick le confirmera à Claire en lui envoyant un texto qui lui demandait de nos nouvelles: « Je crois qu’à ce niveau, je ne sers plus à grand chose. Ils sont dans un autre monde ».

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ACTE 3 – Marathon

Le marathon a lieu sur la promenade des Anglais, mais ce ne fut pas du tout une promenade. Au départ du marathon, j’ai une pensée pour Claire et de son soutien lors du dernier ironman à Zurich qui m’a donné la force de repartir sur la course à pied. Vu la chaleur, je me suis tout de suite rendu compte que je ne pourrai pas atteindre mon objectif fixé sur cette distance. J’ai décidé de ne pas regarder ma montre car pour moi c’était un élément négatif et perturbateur pour le moral. Je suis donc parti à ma foulée et j’ai raccourci mon pas sans m’occuper des autres concurrents. Les deux premiers tours se passent sans souci. Il fait chaud, mais j’ai pris la chaleur comme un paramètre de plus à gérer dans la course.
Il faut accepter ce que nous propose la nature et la respecter. La respecter, c’est avoir la capacité mentale à absorber ce qu’elle nous propose le jour de la course, et après seulement et seulement après il y a les autres. Les premiers ravitaillements sont pris en courant.
Un protocole de course s’installe rapidement : rejoindre le demi- tour, avaler un gel, prendre de l’eau au ravitaillement suivant, voir les tentes au bout de la promenade, avaler les pastilles de sel à la ligne d’arrivée, repartir croquer dans un quart d’orange pour la vitamine C, recracher la pulpe et ainsi de suite pendant les 4 tours. Les deux derniers tours sont plus difficiles. Il fait vraiment chaud, je passe beaucoup de temps sous les arroseurs mis en place par l’organisation. Mes chaussures sont mouillées ! Je sais que cela m’apportera des ampoules, mais je préfère cela. Paradoxalement, je suis trempé de la tête au pied sur le marathon. Je regarde seulement  ma montre à environ trois kilomètres de l’arrivée. Je me rends compte très vite que c’est possible de terminer en moins de douze heures.
Au dernier ravitaillement, je demande à un bénévole à combien est  l’arrivée (le kilométrage est indiqué seulement tous les cinq kilomètres). Il  me répond : « 2,5 km ». Je regarde la montre. Elle m’indique 11h47 de course. Le calcul est vite fait : 2,5 km, c’est un tour de Majolan. C’est possible en 13 mn, et là c’est la résurrection ! J’oublie la chaleur, les ampoules sous les pieds, le mal de jambes et pars dans une longue accélération jusqu’à la ligne d’arrivée. Je passe en 11h56, avec la satisfaction de savoir que j’ai tout donné et le sentiment d’avoir rempli mes objectifs malgré les difficultés.

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L’ARRIVEE

Je suis tellement concentré sur mon arrivée que je ne vois et n’entends pas mes fidèles accompagnateurs qui applaudissent. Je passe la ligne d’arrivée complètement déshydraté.  On me remet ma médaille. Et là, je sens des fourmis monter le long des bras, dans les mains. Je connais bien ces symptômes, Cela m’est déjà arrivé. Je commence à tétaniser sous l’effet de la déshydratation.
Je n’attends pas et file directement au service médical. De toute façon, j’ai besoin de m’allonger, d’avoir du calme, moins de bruit, de l’ombre.
Je leur explique mon souci. Je n’arrive plus à boire. Ils me prennent en charge et je m’allonge. Pris en charge, on me perfuse et en 20mn je suis remis sur pieds. Ils en profitent aussi pour me soigner les ampoules.

L’APRES – COURSE

Je m’oriente vers la zone de repos réservée aux coureurs. J’ai du mal à marcher à cause de ma grosse ampoule sous le pied droit. On me remet mon maillot de finisher. Je me dirige ensuite vers les tables de ravitaillement pour essayer d’avaler quelque chose, Après tout cela, il faut penser à récupérer. Pour l’instant, c’est compliqué, mais je sais que c’est important de recharger rapidement les batteries. Seul un paquet de chips me satisfait. Je n’arrive à avaler que le salé. Je récupère mon sac de change. Je peux enfin enfiler des vêtements secs et mettre mes pieds à l’air dans des claquettes. Ensuite, je pars à la recherche de Jean- François et Patrick. Je les cherche, mais dans cette foule, je n’arrive pas à les retrouver. Je suis inquiet pour Fabien, je l’ai vu tellement mal sur le marathon. Il terminera grâce à son courage et sa  volonté.
Après de vaines  recherches, je décide d’aller me poster à la sortie du parc à vélo. C’est le seul endroit possible de les retrouver. Je les reverrai seulement  vers 21h. Il est enfin temps de rentrer. La journée a été longue. Elle se termine à l’appartement autour d’une pizza et d’une bière fraiche bien méritées. Nous ne nous couchons qu’à minuit !!

Pendant plusieurs semaines, cette course continuera à m’habiter. En faisant ce type d’épreuve, je me rends compte que j’acquière ma force mentale dans l’action. J’en ressors à chaque fois plus fort moralement.

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Cette  belle aventure partagée avec des amis restera une journée exceptionnelle.